
GUILLAUME APOLLINAIRE. Le flâneur des deux rives. Paris, Editions de la Sirène, 1918. In-16 (172 x 100 mm), box janséniste noir, doublure de box mauve, dos à nerfs pincés, toutes tranches dorées sur témoins, couverture et dos conservés (Huser).
Édition originale.
Le tirage des grands papiers se limite à 5 premiers exemplaires sur papier de Chine, suivis de 50 exemplaires sur papier de Hollande.
LE NUMÉRO 5 DES 5 PREMIERS EXEMPLAIRES SUR CHINE.
EXEMPLAIRE PASSÉ PARMI LES PLUS GRANDES BIBLIOTÈQUES LITTÉRAIRES FRANÇAISES.
Délicieux box janséniste doublé de box mauve, un véritable petit bijou huserien. Il a appartenu aux plus exigeants et prestigieux bibliophiles.
De toute rareté sur papier de Chine.
PROVENANCES : Jacques Guérin (Cat., IV, 4 juin 1986, n° 76) ; Jean Lanssade (Cat. II, 4 mai 1994, n° 6) ; Bernard Brochier (Cat., 25 novembre 2015, n° 99).
9 000 €
Vienne Paris, sonne l’ heure, Apollinaire s’en va, la flânerie demeure.
Le 9 novembre 1918, Guillaume Albert Vladimir Alexandre Apollinaire de Kostrowitzky, dit Guillaume Apollinaire, vient de succomber à 38 ans de la grippe espagnole. Le héros de guerre trépané dont la convalescence a été longue et pénible, ne connaitra pas la victoire et les fêtes de l’Armistice. C’est Jean Cocteau qui d’une plume fluette, trouve la force de prévenir les amis et proches, Picasso étant trop atteint pour le faire. Le grand poète laisse derrière lui un vide incommensurable qu’il faut combler au-delà des hommages et de la reconnaissance. Blaise Cendrars, admirateur fervent d’Apollinaire qui a su voir le talent de son cadet, s’empresse de lui rendre son affection. Le bourlingueur veut publier Le flâneur. Ainsi, Cendrars en co-directeur de l’Edition de la Sirène et à la tête de la Collection les Tracts, choisit avec son acolyte Cocteau une sélection d’articles, de courts essais et de textes, ce deuxième né de la collection suivant Le Coq et l’Arlequin du même Cocteau.
Composé comme un parcours personnel et biographique, Le flâneur distille le long des rues et des places le parfum de la nostalgie d’un Paris naturel passé, perdu dans les méandres de la modernité. Ainsi Auteuil accueille Guillaume adolescent, pour écumer de l’autre côté de la rive les cafés Napoli et de Buci au « noël délicat, noël farci, noël d’enfant », et finir sur les quais qui réunissent les univers par l’entremise des libraires passionnés. Apollinaire invite au voyage dans le temps et l’espace. Le présent est mélancolique et le souvenir douloureux mais nécessaire. En amoureux de la Rome dont il est originaire et pour laquelle il a consacré un livre irrévérencieux grâce aux Borgia, il contemple les graffiti parisiens et y lit le vestige de l’antique libertaire, revisité par son évocation des latins Virgile et Horace. Parfois, dans ces rues aux noms sans cesse changeants qui font de la ville un labyrinthe, des reliques demeurent et une sculpture bien cachée et insignifiante devient le témoin de la grande Histoire. C’est la nature qui donne une touche de vie plus joyeuse, immuable dans sa générosité et présente à qui sait la voir.
Œuvre apollinarienne où s’exprime la plus grande tendresse du poète pour Paris.
Le vagabondage ne prend pleinement sens qu’avec ses congénères. Apollinaire convoque ainsi les illustres Balzac en père romanesque et Baudelaire en génie poétique, « l’un né sous Voltaire, l’autre né sous Victor Hugo ». De même, il se rappelle la profession de « poète ambulant » qu’a tenu à exercer un certain Alexandre Treutens, désormais entré dans la postérité grâce au Flâneur. Ce sont ses frères de plumes et d’art, ses amitiés avec Dalize ou Picasso, qui le ramènent au présent, à la modernité et sa lumière artificielle déjà obsolète des lampes à pétrole, bientôt remplacées par l’électricité. Préférant se « promener sur les quais, cette délicieuse bibliothèque publique », les bibliothèques parisiennes et européennes n’ont pourtant aucun secret pour l’érudit modeste. La flânerie devient livresque et universelle. L’évocation de la bibliothèque du Transsibérien semble un clin d’œil d’outre-tombe à Cendrars qui le publie. Enfin, la bibliophilie et le soin porté à l’objet livre est manifeste, quand Apollinaire narre l’aventure éditoriale de l’Enchanteur pourrissant. C’est avec tristesse qu’il décrit le couvent de la Rue de Douai désormais disparu, celui qui a abrité l’impression de son premier livre en 1909 par l’imprimeur Paul Birault. La collaboration des deux hommes s’est initiée par l’impression de la fameuse préface de catalogue d’exposition (1908) que le poète consacre à son ami le cubiste Georges Braque. Apollinaire est dès lors identifié comme l’un des précurseurs du mouvement d’Avant-garde, et André Derain d’illustrer l’Enchanteur pourrissant. La flânerie moderne ne pouvait donc que se conclure dans la cave humide du chansonnier du grand Almanach Illustré, mis en mot par Jarry, illustré par Bonnard et mis en musique par Terrasse, rue Laffite, chez Monsieur Vollard…